Kinshasa : Ngobila, Insalubrité et nous...

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La capitale de la République démocratique du Congo vit ses heures de gouvernance les plus sombres en termes de salubrité publique. La mégalopole d’environs 17 millions d’habitants est parsemée de dépotoirs, sans compter les inondations chroniques et ses monstrueux embouteillages… Décryptage d’une ville suffocante.

Mercredi 10 avril, il est 7 heures 35’ à la place Magasin-Kintambo. Ce lieu situé à la frontière de deux communes de la capitale, Kintambo et Ngaliema, suffoque d’insalubrité. A moins d’un kilomètre de là, c’est pourtant la résidence officielle du Président de la République démocratique du Congo, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, nichée dans les hauteurs du Mont-Ngaliema.

La rivière Mapenza traversant l’avenue du Tourisme qui mène vers le palais présidentiel est jonchée de déchets plastiques. La veille de l’investiture du Président Tshisekedi pour son second mandat, un travail rapide d’assainissement avait été fait par le ministère de l’Environnement et le génie militaire, notamment le curage de cette rivière avec une pelleteuse. Après l’événement du 24 janvier 2024, la lassitude d’entant a vite regagné sa place. Les bouteilles plastiques flottent à nouveau dans cette rivière.     

Sur l’avenue du Tourisme qui longe la clôture du Mont-Ngaliema, le désastre est encore palpable avec l’état chaotique de la route. L’absence d’un bon caniveau régulièrement entretenu au pied de la résidence présidentielle n’a pas laissé une longue vie à cette route qui mène vers plusieurs nouveaux quartiers, notamment Mimosas, Brikin, Pompage, Mbudi et tant d’autres.

A la place Victoire, le constat d’une ville à l’agonie reste le même. Le service d’assainissement est quasiment inexistant. En 2018, un Décret-Loi du 30 décembre portant « interdiction de production, d’utilisation et de commercialisation des emballages en plastique » sur toute l’étendue du territoire national avait été promulgué. Depuis l’existence de cette loi, c’est l’effet contraire qui se produit, sans que l’autorité de l’Etat ne puisse s’imposer véritablement. Il s’observe un foisonnement de l’utilisation des produits en plastiques non biodégradables. Les marques de jus avec des emballages en plastique se multiplient, sans compter les effets de ces produits sur la santé des consommateurs. Ces déchets plastiques viennent renforcer l’insalubrité dans la ville.     

Depuis plusieurs années, aucun service officiel de salubrité n’est vraiment opérationnel et viable. « A l’époque du président Laurent-Désiré Kabila, je voyais des agents portant des cache-poussières et balayaient régulièrement les rues de la ville. Ces agents ont disparu avec l’assassinat de Mzee », se souvient Gilbert Nimi, 54 ans, un natif de la commune de Ngaliema. A ce jour, cette tâche de salubrité a été confiée aux ONG. A Magasin-Kintambo, certains jeunes et dames portant des chasubles, feignent de balayer... Généralement, l’étendue de leur coup de ballet dépend de la présence ou non de leurs superviseurs d’ONG. Le reste du temps, ces balayeurs cherchent l’ombre pour éviter le soleil et certains se mettent à demander de l’aumône aux passants. En réalité, ces hommes et femmes membres des ONG de salubrité ont été inefficaces tout au long du temps qu’ils ont eu à passer sur les chaussées et les ronds-points de la ville pour le service du nettoyage.

Ngobila, une vision politique manquée ?

Devant son gouvernement provincial jeudi 4 juillet 2019, Gentiny Ngobila Mbaka – le gouverneur sortant – avait pourtant assigné des actions prioritaires à son équipe. Lors de ce tout premier conseil des ministres, le premier citoyen de la ville avait fait de la lutte contre l’insécurité et l’insalubrité deux de ses axes prioritaires. Deux mois plus tard, il avait même fait tenir une bêche au chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, pour le lancement de l’opération « Kin Bopeto », à Bandalungwa. Cinq ans plus tard, la ville patauge toujours dans les immondices. Dans le secteur de la salubrité, le gouverneur a semblé naviguer à vue, cinq ans durant. Et aucun bilan n’a été tiré de son programme de « Kinshasa Bopeto ».



Les poubelles métalliques installées le long du Boulevard du 30 Juin sous la gouvernance du Premier ministre, Augustin Matata Ponyo, ont presque toutes disparues. Elles ont été remplacées, un moment, par des sacs-poubelles. Mais ces derniers n’ont tenu que le temps d’un seul remplissage des déchets, car complètement lézardés par de déchets souvent des diverses natures. Pour aider à évacuer les ordures, le gouverneur sortant avait aussi décidé d’octroyer, à titre de rétrocession, une somme de 16 millions de francs congolais à chaque commune, dans le cadre de la mise en œuvre de l’opération « Kinshasa Bopeto ». Un montant qui représentait 10 mille dollars, selon le taux de change de l’époque. A ce jour, cette promesse n’a pas vraiment été suivie d’effet.

Entretien des infrastructures  

Dimanche 9 juin, au stade des Martyrs, les supporters des Léopards, qui ont investi l’enceinte sportive plus tôt, ont eu le temps de faire l’amer constat. Depuis le concert du chantre Moïse Mbiye, le 19 mai, les gradins du stade des Martyrs n’ont pas connu un coup de ballet. « Regardez l’état du stade ! Nous avons payé 10 mille francs de billet mais regardez la saleté ? C’est insupportable », dénoncent des supporters avant le match RDC-Togo dans le cadre de la quatrième journée des éliminatoires mondial 2026. Ce problème d’entretien s’observe dans la plupart des infrastructures réhabilitées, y compris des routes. « Ni la part de responsabilité du gouvernement central ni celle qui revient à la ville n’est correctement remplie. L’aspect de la salubrité est fortement négligé dans ce pays, à l’exception de la ville de Goma qui reste un modèle dans tout le pays. Notre indignation n’ébranle plus le gouvernement qui n’affiche aucune politique d’entretien des infrastructures. Ils attendent les Turcs pour venir faire la propreté à leur place », déclare un autre Congolais, supporteur des Léopards. Mais l'autre part de responsabilité revient aux Congolais vivant à Kinshasa qui ne mesurent toujours pas les conséquences liées aux déchets jetés partout, y compris dans les voies d'assainissement d'eau.

Le 15 mai dernier, le gouverneur sortant, Gentiny Ngobila, a effectué une visite d’inspection du premier lot d’engins réceptionné dans la capitale, dans le cadre de grands travaux d’assainissement de la ville. Ce premier lot de plus de 200 engins d’assainissement, bloqués à la douane pendant près de deux mois, vient de la Turquie. Ils ont été fabriqués sur mesure pour s’adapter aux dimensions des rues et ruelles de Kinshasa. Ce lot est composé de plus de cinquante (50) véhicules dont des camions poubelles à compression hydraulique, des camions bennes, des balayeuses de voirie, des engins de levage de voirie, quatorze (14) engins dont des pelles excavatrices, des bulldozers, des chargeuses sur chenilles, des porte-citernes ainsi que plus de trois mille (3.000) poubelles de rue de différentes dimensions.

Reste à savoir si Kinshasa retrouvera sa plus belle robe d’antan avec l’apport des Turcs. Tant qu’il n’y aura pas une vraie politique de salubrité à Kinshasa ou dans l’ensemble du pays, tous les efforts de réhabilitation des infrastructures routières, administratives ou sportives seront perçus comme une course effectuée sur un tapis roulant.  

Dido Nsapu


10-Juin-2024

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